Irkoutsk

Nous voilà enfin à Irkoutsk, il fait si beau que nous décidons de poursuivre la route jusqu’au lac Baïkal, à la « station balnéaire » de Lisvianka. A l’embouchure du lac, nous nous retrouvons face à cette immense étendue d’eau cernée par les montagnes. Cela ne fait maintenant aucun doute, le jeu en valait la chandelle, ces 9500 km n’ont pas été parcourus en vain! Les huit jours de route ont été assez éprouvants mais le spectacle qui s’offre à nous nous laisse sans voix, alors que nous sommes pourtant habitués aux magnifiques panoramas des Alpes. Le lac Léman nous parait ridicule à côté, et pour cause: le Baïkal a une superficie de 31722 km2 et constitue la plus grande réserve d’eau douce au monde, avec des profondeurs atteignant 1642 m.

Après un passage obligé au marché au poisson, nous nous accordons une pause bien méritée pour savourer nos trouvailles sur la plage de galets. Cet omoul grillé (LE poisson du Baïkal) ne nous laisse pas indifférent et il n’en restera pas une miette!

La légende dit que se baigner dans le Baïkal porterait chance et donnerait 10 ans de vie supplémentaire à quiconque oserait, mais tremper les mains dans cette eau glaciale nous suffit amplement. Pour la baignade, on repassera!

De retour à la voiture, nous tombons nez-à-nez avec un Berlinois, Wolfram, qui fait sensiblement le même voyage que nous mais seul, et en moto. Nous échangeons longuement sur nos voyages et véhicules respectifs puis décidons de passer la soirée ensemble autour d’un bon feu dans un immense champ non loin de là.

Décidément, nous avons été bien inspirés d’aller directement au Baïkal sans nous arrêter à Irkoutsk puisqu’à notre réveil, c’est la tempête, il fait vraiment froid et une pluie glaciale ne tarde pas à faire son apparition. Wolfram nous abandonne pour aller se mettre à l’abri jusqu’au lendemain tandis que nous rentrons à Irkoutsk, où il nous reste beaucoup de choses à faire avant de prendre la route pour la Mongolie: nettoyer la voiture (on ne voit plus à travers les vitres!), demander les visas mongols, changer les pneus et passer chez Toyota pour les vidanges de boites et de ponts et vérifier que notre dromadaire préféré se porte toujours aussi bien.

Le lendemain, nous nous levons avec la ferme intention d’être les premiers au Consulat Mongol. C’est réussi puisque nous arrivons avant même l’employée qui nous prendra en charge. D’après nos informations, il faut en moyenne quatre jours pour obtenir le visa, mais les demandes sont si rares en cette saison que nous repartons, visas en poche, après seulement 15 minutes! Après un bon coup de karcher sur le 80′, nous allons faire monter les nouveaux pneus. En prévision de la Mongolie, nous avons opté pour les M/T de chez Toyo, plus cramponnés et donc plus adaptés au style de terrain que nous allons rencontrer dans les prochains mois. Ici aussi, ils s’occupent immédiatement de nous. Le temps qu’ils terminent, notre ami Wolfram nous a rejoint et nous filons dans un restaurant mongol. De copieux et délicieux plats arrivent sur la table. Je sens que j’aime déjà ce pays, avant même d’y avoir mis les pieds!

La météo prévoyant du mauvais temps toute la semaine (3-4°, pluie et neige,…), nous décidons de rester tous les trois à Irkoutsk et de louer un appartement pour la semaine. Nous ne sommes pas pressés et il serait dommage de ne pas profiter du Baïkal par beau temps.

Cette halte forcée nous permet d’effectuer un check complet du véhicule chez Toyota. Ici encore, prise en charge quasi immédiate, petit salon avec vue sur l’atelier, café gratuit, ce n’est pas le même accueil que dans la plupart des garages français! Une fois les vidanges, graissages et vérifications faites, nous récupérons notre dromadaire en pleine forme, comme toujours et pouvons passer à l’étape suivante: identifier les bruits restants dans la voiture et les éliminer (pour l’instant ça a l’air réglé mais de nouveaux rossignols vont très certainement faire leur apparition sous peu!)

Les jours suivants, nous profitons de chaque accalmie pour visiter cette ville, bien différente de celles que nous avons traversées jusqu’alors. Ici, une certaine modernité s’est installée bien que le mode de vie soit bien loin de ce à quoi nous sommes habitués. Nous prenons tous nos marques dans cette agréable ville sibérienne et ses lieux touristiques: l’église Kazan, la statue de Lénine, le quartier 130 et ses multiples restaurants, le grand marché et son restaurant coréen où nous avons très bien déjeuné malgré le groupe de coréens assez bruyants et très alcoolisés à côté de nous.

Nous planifions aussi notre trajet sur la rive droite du Baïkal et, nos trajets coïncidant, Wolfram sera des nôtres encore une semaine. Nos chemins se sépareront à Ulan-Ude, où il prendra la route pour Vladivistok alors que nous descendrons en Mongolie.

Autour du lac Baïkal

Vendredi, il est temps de quitter Irkoutsk. Ces derniers jours n’ont pas été désagréables, bien au contraire, mais il nous tarde de découvrir les berges du Baïkal même si le temps n’est pas encore au beau fixe (en l’occurrence 5° et de le pluie!). Quelques passages dans la boue et les cailloux plus tard, un bruit strident survient au niveau de la roue arrière. Panique à bord, si c’est un caillou coincé entre le disque de frein et l’étrier, nous sommes bons pour changer les freins, et ça, ce n’est pas au programme! nous nous arrêtons donc pour démonter la roue et les plaquettes, avec l’aide de deux hommes, qui ont vu notre plaque française et se sont arrêtés pour discuter avec nous. Plus de peur que de mal, une fois les roues remontées, le bruit a disparu, nous voilà donc repartis! Après une journée de route et une nuit dans la seule gostinitsa (chambre d’hôtes) de Selienghinsk, nous atteignons la péninsule de Sviatoi Nos (le nez sacré) sur la rive droite du lac. Ici, seuls quelques hameaux sont implantés au bord du lac. Pas de magasin, pas de route, pas de réseau, des vues magnifiques sur le lac et ses montagnes: parfait, c’est exactement ce que nous sommes tous les trois venus chercher.

Un arrêt sur la première plage que nous trouvons, un petit feu, nous voilà prêts pour notre première soirée, mais c’était sans compter sur les gardes du parc qui arrivent et nous demandent d’éteindre le feu. Tant pis, ce soir on aura froid!

Nous repartons assez tôt le lendemain, les pistes ne sont pas des plus praticables mais elles sont relativement sèches donc nous les empruntons sans trop de difficultés (malgré quelques glissades pour Wolfram) et arrivons devant un tracteur retourné. Nous apprendrons plus tard que le conducteur était trop soûl et n’a pas réussi maîtriser son véhicule dans la boue. Encore quelques kilomètres et nous atterrissons dans une petite crique aménagée perdue au beau milieu de la forêt, où nous montons le camp pour les deux prochaines nuits. La vue est imprenable, le calme absolu, et les aigles volent à quelques dizaines de mètres au dessus de nous. Le paradis!

Un homme arrive en voiture: nous sommes sur un emplacement payant, mais ce n’est pas grave, le lieu est si beau et bien aménagé que cela vaut bien quelques roubles.

Nous l’invitons à partager notre dîner, et apprenons qu’il est le responsable de cet endroit et qu’il a tout construit de ses propres mains. Pêcheur, sauveteur sur le lac, responsable du « camping », Alexander ne chôme pas! Bien que la communication ne soit pas évidente, nous apprenons beaucoup sur le lac et le mode de vie de ses habitants, et avons même la chance de goûter les pains à la viande faits maison et le poisson fumé qu’il nous a apporté. Quelle bonne idée de l’avoir invité, sa joie de vivre est communicative et fait plaisir à voir! Fab lui demande l’état des routes E110 plus au nord et de la BAM road (Baïkal-Amour Magistral), ces routes mythiques qui mènent à l’Est de la Sibérie, réputées pour être parmi les plus difficiles au monde. Sa réponse est sans appel: Kamaz, da; Machina, niet! Ce soir, nous finirons bien tard la soirée au coin du feu. Il ne reste plus qu’à espérer que nous n’aurons pas la visite d’ours dans la nuit.

Une bonne nuit de sommeil et nous voilà fin prêts pour… ne rien faire, sinon profiter de la sérénité ambiante. Hamac, lecture, écriture, pêche et pédalo sur le lac, une journée harassante en somme!

Le lendemain, ca y est, il nous faut quitter cet endroit, à regret, mais nous savons que d’autres lieux tout aussi magiques nous attendent. Il est aussi temps de dire au revoir à Wolfram, que nous ne recroiserons pas lors de ce voyage puisqu’il part pour Vladivostok avant de revenir et retrouver sa femme à Oulan-Bator. C’est avec une certaine tristess que nous le quittons. Son calme, sa gentillesse, ses histoires sur les innombrables pays qu’il a traversé au guidon de ses motos et les rires que nous avons partagé vont nous manquer mais rendez-vous est pris chez nous pour faire découvrir à cet amoureux de montagne le ski de rando dans le massif du Mont-Blanc.

Pour notre part, direction le Nord. Bien que nous sachions qu’il soit impossible d’emprunter la piste E110 izimnik, qui mène à la BAM road, nous voulons voir à quoi elle ressemble, et surtout nous rapprocher de ces montagnes qui nous fascinent depuis plusieurs jours. Alexander nous avait dit que c’était de l’asphalte jusqu’à Kurumkan, mais il semble que nous n’ayons pas la même conception de ce mot! C’est donc sur une piste somme toute assez roulante que nous nous engageons jusqu’à nous retrouver face à un immense cours d’eau infranchissable.

Demi-tour, « la 110 » est effectivement accessible uniquement les mois les plus chauds de l’année, et ce pour les plus téméraires. Et de toute façon, ce n’est pas l’objectif de notre voyage. Mais peut-être d’un prochain, qui sait, cela nous a laissé sur notre faim! Quelques mots à propos de cette route :

L’hiver 1974-1975 autour du lac Baïkal fut exceptionnellement chaud. Entre temps, le « projet de construction du siècle » soviétique, le Baikal Amur Magistral ou BAM, battait son plein. Les matériaux de construction n’ont pas pu être livrés à la BAM car il n’y avait pas assez de glace sur le lac Baïkal pour construire la route hivernale annuelle. Pour préserver le ravitaillement, les Soviétiques ont décidé de construire une route à l’Est du lac, qui s’étend sur 160 km de Ust Barguzin à Uoyan. Les travaux se déroulaient à un rythme soutenu, jour et nuit, dans les rudes conditions hivernales de la Sibérie. La route temporaire a été achevée le 1er février 1975 et immédiatement utilisée. Jusqu’à 80 camions ont parcouru quotidiennement la nouvelle route, transportant les matériaux de construction indispensables à la construction de la BAM.

La 110 a été utilisée comme route d’hiver pendant un certain temps, mais rien d’artificiel ne dure longtemps en Sibérie, à moins d’être entretenu. La route est tombée à l’abandon. Les ponts pourrissaient, l’eau emportait le gravier et les rochers. Elle ne pouvait plus être utilisé pour la circulation, mais est devenue un test puissant pour les amateurs de véhicules tout-terrain. Elle a été baptisé « La 110 » ou « Zimnik 110 ».

Ce demi-tour signifie que nous avons atteint le point le plus au Nord et le plus à l’Est de notre voyage. Désormais, nous ne ferons que nous rapprocher de chez nous, malgré de légers détours de quelques mois. Mais pour l’heure, il est temps de poser le bivouac et de profiter des derniers rayons de soleil avec vue imprenable sur les montagnes.

Il ne nous reste désormais plus qu’à passer à Ulan-Ude récupérer au magasin « Nad nami » le chargeur de téléphone satellite que nous avons oublié à la maison, et nous serons prêts à passer la frontière mongole. Sur la route, nous récupérons un peu de réseau téléphonique et nous apercevons que Wolfram est coincé à Ulan-Ude pour cause mécanique : la pompe à essence de sa GS800 est HS. Nous le rejoignons donc pour passer la soirée avec lui au Taïga Pitch Camper,  qui est encore en construction mais tenu par un couple Allemand et Russe très sympathique. Ce camp devrait être prêt à acceuillir des touristes dans les prochaines semaines et nous le recommandons!

31 mai, cela fait maintenant un mois et un jour que nous sommes partis, il est temps de rejoindre la Mongolie! Le chargeur de téléphone satellite en poche, nous prenons la route et devrions passer la frontière mongole demain…

_Laure